Au Cœur de l'Amérique Centrale

Gaelle Sevenier

Mars 04

Du Guatemala au Panama, il existe toute une mosaïque de peuples minoritaires, isolés et pauvres, qui n'ont pas la chance de se connaître les uns les autres. Les minorités d'Amérique Centrale, avec leurs cultures traditionnelles très distinctes, ont toutes un point commun : leur marginalisation. Au jour de la mondialisation, tous sont confrontés à une lutte permanente entre la préservation de leurs traditions et la modernisation qui s'impose. Au milieu de cet espace où l'on oublie peu à peu les mythes ancestraux, un projet pilote est né, une troupe de théâtre française qui organise des fusions théâtrales interculturelles entre quatre communautés indigènes dispersées au Guatemala, Honduras et Panama. L'idée du projet Cœur de la Terre est de créer un échange interculturel qui jongle entre les différences et les similitudes de ces minorités, dans cet espace imaginaire accessible à tous qu'est le théâtre.

Dans le Poitou Charente, au sud-ouest de la France, ils sont huit à vivre en communauté depuis 15 ans, au milieu de chiens et de chats, dans une ferme du 16ème siècle qu' ils ont héritée. Ils partagent les mêmes paquets de cigarettes et le même compte en banque. Ces amis d'enfance ont comme passion le théâtre. Ils se sont donné comme nom celui de la "Tour de Babel ", en référence à la Bible. " Notre projet est un peu de construire une tour où les langues et les différences ne sont plus un problème mais font la diversité dans ce monde, " explique Frédérique Servant, un des fondateurs de l'organisation.
La troupe de théâtre travaille aujourd'hui sur trois aires géographiques, l'Océan Indien, l'Amérique Centrale, et l'Afrique du Nord. Leur démarche interculturelle vise à créer une rencontre entre les minorités de chaque zone.
Leur président, Romain Pompidou, petit-fils de l'ancien Président de la République, est l'un des premiers à avoir contacté le peuple Maya du Guatemala. Un spectacle est monté, il y a 6 ans, qui sera joué en France, puis au Guatemala. En l'an 2000 le projet de la Tour de Babel s'ouvre à d'autres groupes artistiques d'Amérique Centrale. Naît alors le projet " Cœur de la Terre ", financé par le gouvernement français, des instituts de tourisme et des entreprises privées.
Cœur de la Terre travaille aujourd'hui avec quatre communautés, deux afro-latinos et deux peuples natifs indigènes. Ce sont les Garifunas du village de Triunfo de la Cruz au Honduras, les Congos du Panama, les indiens Mayas Sutuhil de la région du lac Atitlan au Guatemala, et la tribu Kuna du territoire autonome de San Blas au Panama.
La troupe française sert de lien, organise les séminaires, les rencontres interculturelles et les festivals, trouve des financements et met en scène les spectacles. Le projet est basé sur l'idée d'un collectif. " Chacun a un pouvoir de décision et peut prendre la parole " explique Rodolphe Goupil, un volontaire qui a travaillé pendant plus d'un an sur le projet. " Le groupe français sert un peu de pont entre les institutions locales et internationales et ces communautés, qui ont tout de même un peu de difficulté pour se faire respecter. Nous les encourageons à se mettre eux-mêmes en réseaux, c'est à dire que sans notre présence, ils doivent avoir un potentiel pour travailler ensemble. "

C'est en Février qu'à eu lieu la dernière fusion théâtrale entre les communautés, sur une petite île des Caraïbes au Panama, à Bastimento. Pendant un mois, 47 artistes ont vécu ensemble et ont répété jour et nuit pour mettre en place une pièce de théâtre. La représentation finale a eu lieu dans un amphithéâtre naturel, au milieu de la jungle. Une équipe de tournage française était sur place pour filmer un documentaire sur la rencontre interculturelle. Chaque groupe a pu s'ouvrir pour faire connaître ses origines, son histoire et sa situation actuelle, chaque culture étant d'une immense richesse et méritant notre attention.

Briseida Iglesias, leader du groupe Kuna, nous parle de l'histoire de son peuple, natif du Panama. " Avant, nous vivions dans la forêt, mais à cause d'attaques de malaria, nous avons immigré vers la côte. De là, une autre maladie nous a attaqué, une maladie d'une autre sorte, une maladie qui marche, qui pense, qui tue : les colonisateurs… Ils sont venus maltraiter nos grands pères, violer les femmes, couper les têtes. Ils disaient que les indiens étaient à moitié sauvages."
" L'histoire de notre communauté est très triste, de la création à aujourd'hui, nous avons été martyrisés, c'est pour ça que je suis si triste de raconter comment ils ont tué nos grands-pères " dit en sèchant ses larmes cette mère de six enfants vétue de vêtements traditionnels. Briseida reprend son souffle en réajustant ses bracelets. Les femmes Kunas portent traditionnellement des bracelets multicolores sur toute la longueur de leurs bras et de leurs jambes. Selon leur croyance, cela les protège des mauvais esprits.
Le peuple Kuna est un peuple guerrier où le rôle de la femme a une grande importance. Briseida explique qu' " au moment de la colonisation, le leader du groupe était une femme qui s'appelait Narascunial, la première femme qui s'est affrontée aux barbares assassins. La communauté avait peur parce qu'ils tuaient sans merci. Cette femme courageuse et sa fille se sont rendues dans la jungle pour affronter les colonisateurs. Dans la nuit, elles ont mis en place leur stratégie. Narascunial était très belle, avec de longs cheveux jusqu'aux pieds. Lorsque les colons arrivèrent, elle se déshabilla entièrement. Ceux-ci, impressionnés par sa beauté, se rapprochèrent et tombèrent dans le piège qu'elles avaient fabriqué avec des herbes pendant la nuit. De retour dans sa communauté, elle dit aux hommes : " vous êtes des lâches, pourquoi ne réagissez-vous pas, il faut se battre ! " "
C'est en 1925 que les Kunas ont fait leur révolution et obtenu un statut d'autonomie politique au Panama. Briseida raconte qu'au début, les Kunas n'étaient pas de taille avec leur machettes. " En ce temps, les américains étudiaient le corps d'une femme albinos. Ils l'emmenèrent aux Etats Unis avec un groupe d'indiens pour qu'ils demandent de l'aide et des armes. Les américains n'ont pas refusé, mais eux ne sont pas venus, ils nous ont juste donné les armes et est arrivée la révolution de 1925. " La Comarca Kuna Yala est désormais autonome, avec ses propres lois et son Congrès Général.
Les Kunas peuvent aujourd'hui encore être considérés comme un peuple de guerriers, fiers et indépendants, qui se protège de son mieux des influences de la modernité. " En ce moment, le Congrès ne permet l'accès aux touristes que s'ils payent un droit d'entrée. " explique Sogui Diaz, une jeune étudiante Kuna qui vit désormais à la capitale. " C'est parce que nous devons payer beaucoup de choses dans la communauté pour survivre. Je reconnais que nous sommes un peu fermés… "
Sogui a une vie tout à fait similaire à celle de nombreuses autres jeunes filles de la capitale. Elle avoue qu'il existe une sorte de " contagion " du monde occidental. " Nous n'avons pas d'échappatoire, nous sommes dans une lutte permanente pour préserver ce qui est à nous, notre culture. C'est mon intention, je suis une jeune qui a été élevée à la capitale, mais avec la lutte intérieure de continuer à cultiver mes racines. "
Sogui parle couramment le Kuna, participe à des démonstrations de danses traditionnelles, s'implique dans la politique du Congrès Général et collectionne les Molas, le vêtement féminin traditionnel Kuna.. Son intention est de " sauver " les jeunes de sa génération. " Ils vivent dans le monde moderne, mais ils peuvent aussi le combiner avec le monde traditionnel. Comme moi par exemple ! "
Aujourd'hui, le pourcentage le plus élevé de pauvreté au Panama concerne les peuples indigènes. La Comarca Kuna Yala est protégée grâce à son statut autonome, mais les territoires de leurs frères Wounam ou Emberas se réduisent de jour en jour au profit des investisseurs.
Briseida se révolte : " Je voudrais aller devant la Présidente pour lui dire en face: " Vous ne reconnaissez pas votre culture, vous ne valorisez pas nos frères. " Mais quand on rentre en politique, tous m'applaudissent parce qu'ils veulent mon vote. C'est ce qui se passe en ce moment au Panama. " D'après elle, le Gouvernement Panaméen ne s'intéresse au sort des communautés indigènes que lors des élections, comme celles organisées en Mai prochain, lorsque le mandat de 4 ans de la Présidente actuelle Mirella Moscoso se terminera.

Au Panama, il existe de nombreuses minorités. L'autre communauté Panaméenne qui participe au projet Cœur de la Terre est celle des Congos, descendants d'esclaves africains. Leur reine, âgée de 77 ans, est venue sur l'île de Bastimento accompagnée d'une partie de la famille royale. La reine Alejandrina explique que les Congos ont toujours été en bons termes avec les Kunas, puisqu'ils étaient eux aussi méprisés et qu'ils les ont aidés pendant la fuite des esclaves dans les montagnes.
La Princesse, Marcia Rodriguez, se fait le porte parole de la culture Congo. " Les Congos ont été amenés sur cette terre du Panama en temps qu'esclaves pendant l'époque de la colonisation espagnole. Nos cérémonies se font dans les Palenques, la maison où nous réalisons nos activités rituelles et où se trouvent la reine et la cour pendant la période du Carnaval. Comme les activités Congos ont lieu en même temps que les 4 jours du carnaval, les gens qui ne nous connaissent pas pensent que notre activité est uniquement carnavalesque. Ce n'est pas ainsi. Le carnaval entre seulement dans la période Congo. "
Lorsque la Reine remet sa lourde couronne de pacotille, les enfants la reconnaissent dans la rue puisqu'ils l'ont tous vue à la télévision. La princesse parle de la popularité de la famille royale. " Nous sommes très populaires avec notre culture. Mais il y a 10-20 ans, nous ne l'étions pas, au contraire, on voulait nous diviser. Les espagnols voulaient effacer le passé des Congos, et s'ils avaient pu effacer la couleur de leur peau, ils l'auraient fait. C'est toute la psychologie qu'a utilisée l'homme blanc pour nous maintenir esclaves. "
" Avec l'esclavage, il y a eu beaucoup de choses très tristes, " dit Marcia. " Par exemple, ils violaient les jeunes filles de 9 ans. A la puberté, les fillettes tombaient enceintes. C'est pour cela que notre peau est plus blanche. Ce n'est pas une fierté pour nous. Un noir espère que sa fille aura un bébé avec celui qu'elle aura décidé. Eux la prenaient et la mettaient enceinte. Si le bébé sortait noir, ils le mettaient au travail dur et forcé. Si l'enfant sortait avec une peau plus claire, il servait de serviteur à l'intérieur des maisons. Il ne pouvait jamais dire au maître de la maison 'papa' ou il était puni. Et quand un Congo commettait une erreur, on lui coupait la langue, la main ou l'oreille. Il y a eu beaucoup de douleur au Panama, comme pour d'autres peuples.… "
C'est par la danse et les chansons que les Congos ont pu transmettre leur histoire de génération en génération. Une particularité de la danse Congo se trouve dans les " bisous volés " du danseur alors que sa partenaire fait mine de s'échapper. Il s'agit d'une allusion aux viols des colons. " Le blanc ne voulait pas que les noirs apprennent à lire et à écrire. " continue la Princesse. " S'ils surprenaient un noir en train d'écouter lorsqu'on enseignait à un blanc, ils le punissaient ou le tuaient." De là vient l'importance des chants et des danses dans la culture Congo: " les chants aidaient à transmettre toute l'information qu'ils ne pouvaient pas écrire. Alors chaque chant raconte une histoire ".

La transmission des cultures par les chants et les danses se retrouve chez d'autres peuples originaires d'Afrique. Une autre communauté noire participe au projet Cœur de la Terre, celle des Garifunas du Honduras.
Les Garifunas sont les descendants d'africains alliés aux amérindiens Arawak natifs de l'île de Saint Vincent. " Après le naufrage d'un bateau d'esclaves, les survivants ont nagé jusqu'au rivage de Saint Vincent. " raconte Neta, la coordinatrice du groupe. " Là ils sont tombés amoureux d'indiens et se sont mélangés. Ils sont restés sur l'île toute une génération, puis les français et les anglais sont arrivés. Les français ont lutté en notre faveur. Mais nous avons ensuite été déportés vers l'île de Roatam. "
C'est depuis Roatam, qui appartient aujourd'hui au Honduras, que les Garifunas se sont dispersés sur toute la côte Caraïbe de l'Amérique Centrale, au Belize, Guatemala et Honduras. La culture afro-amérindienne Garifuna, dotée d'une langue propre, l'une des rares langues du Nouveau-Monde qui ne soit pas dérivée d'une langue européenne, est très distincte de la culture latino. Les Garifunas sont aujourd'hui reconnus par l'UNESCO comme étant une communauté qu'il faut défendre et préserver.
Dans le contexte actuel de globalisation, la minorité hondurienne a peur de perdre son héritage culturel. " Notre culture est menacée de disparaître " explique Kalin, un père de six enfants habitant à Triunfo de la Cruz, dans la baie de Tela au Honduras. " Le modernisme attire la jeunesse. Nous ne voulons pas interdire à nos enfants de s'impliquer dans la modernité. Par contre, nous voulons que notre culture intègre le modernisme. C'est grâce à l'éducation et à la culture que nous arriverons à nous développer et à nous élever en temps que communauté. "
Les Garifunas sont aujourd'hui en majorité catholiques. L'influence de la sorcellerie et de la magie reste tout de même toujours présente dans la culture Garifunas. Dans chaque village, on trouve un guérisseur. D'après eux, ceux-ci ne font que le bien, jamais de maléfices. " Par exemple, si tu n'as pas de chance, ils te font des médicaments pour ne plus avoir de malchance. " affirme le percussionniste Roberto Cloter Mijia.
Mito Herasmo Castillo explique que les Garifunas vivent en harmonie avec la nature. "Tout ce que nous utilisons comme instruments est fait de bois, de peau de vache, tout ce que nous mangeons vient presque uniquement de ce que nous avons semé de nos mains, tout cela est naturel, tout cela est vivant. Quand quelqu'un joue du tambour, il appelle les esprits et demande l'autorisation, parce que l'instrument a de la vie. "

Les Maya Sutuhil demandent également l'autorisation à leur Dieu Jilakman avant de jouer de leurs instruments et de se mettre en scène avec le reste de la troupe. Ces tout petits individus Mayas ne se sont pas laissés intimider face aux géants descendants d'Afrique. Ils ont partagé avec tous leurs mythes et leurs traditions, et ont même organisé, à la fin de la grande représentation finale, une prière collective pour remercier leur Dieu.
Le groupe de musiciens vient de Santiago de Atitlan, charmant petit village sur les bords du lac Atitlan au Guatemala. Leur musique et leur danse semblent relativement simples. Diego Tiney Dablo dit timidement à ses frères, " je ne sais pas ce que les gens peuvent penser, que c'est peut être une danse très simple, une musique banale qui semble très facile, mais c'est notre culture. Peut-être qu'on dirait que ça n'a pas de valeur, mais la personne qui vous présente sa culture est fière de vous la présenter. "
Diego a été choisi pour jouer le rôle de leur guide spirituel Jilakman, Dieu masqué à qui l'on fait des offrandes de cigarettes et d'alcool. " Je suis acteur du Jilkman, personnage sacré que nous ont légué nos ancêtres. Nous avons beaucoup de respect pour lui parce qu'il a une grande valeur. Je le représente pour que les gens sachent que nous avons toujours nos racines. Le Jilakman est un Dieu Maya qui a beaucoup d'importance. Chaque fois que je joue ce rôle, je dois demander la permission ".
Il est un sujet délicat à aborder avec les Mayas, celui de la Guerre civile du Guatemala, 30 années de massacre entre militaires, para-militaires et guerrilleros. Les Mayas Sutuhil restent encore profondément traumatisés par leur expérience douloureuse de la guerre. Leur groupe de musique initial, qu'ils ont créé en 1976, a été victime de persécution. " En 77, nous avons enregistré notre musique pour la première fois. " raconte Diego. " Ensuite il y a eu le problème de la violence. Notre directeur a été porté disparu, puis mon frère, puis d'autres compagnons… Les gens interprétaient mal notre musique. Les militaires, les évangéliques, ils pensaient que c'était une musique de protestation... Vraiment notre musique n'a rien à voir avec de la protestation, ce sont nos ancêtres qui nous l'ont légué, c'est un souvenir, nous ne voulons pas que cette culture parte dans l'oubli. Pour cette raison, grâce au Jilakman, nous avons continué à nous organiser après la désintégration du groupe".
Juan Mendoza, leur directeur, veut oublier la Guerre Civile. " Le village de Santiago a beaucoup souffert. C'est douloureux pour moi, je ne peux pas vous en parler, parce que j'ai souffert, nous l'avons vécu. Il y a peut être des gens qui s'en moquent, mais pour quelqu'un qui a souffert, c'est douloureux et ça va jusqu'à nous donner envie de pleurer. Et puis on ne peut accuser personne, il faut se protéger. Le Guatemala est en paix, pareil pour Santiago, aujourd'hui la guerre est terminée. "
Les accords de paix n'ont pourtant été signés qu'en 1996. Il y a quelques mois à peine, l'ancien dictateur Guatémaltèque Rios Montt, responsable d'un grand nombre de massacres pendant la guerre civile, a tout de même réussi à détourner la loi électorale pour se représenter aux élections présidentielles.

Que de lourd passé, que d'histoire et de traditions. Imaginez la rencontre explosive entre 47 individus de ces quatre communautés d'Amérique Centrale ! Dans la fusion théâtrale, chacun a accepté de sacrifier un peu de sa vision du monde pour intégrer celle des autres.
L'élément inévitable qui rassemble ces quatre communautés est la présence de la magie, de la sorcellerie, le culte de leurs ancêtres. Le concept des rites secrets est très présent pour chacun. Pour les Mayas, il est indiscret de demander des informations sur le grand Jilakman. " Si quelqu'un veut savoir, il doit passer par les même chemins que nous " affirme Juan. " C'est comme si quelqu'un a faim, on ne peut pas lui servir un plat, non, il doit lutter comme nous. C'est comme ça.… Pour nous, c'est une offense de parler de notre religion. " Pour les Kunas aussi, il y a des sujets tabous, la terre mère sacrée par exemple. Il est interdit d'aborder ce thème dans les danses et chansons, sinon, " tu peux devenir aveugle ou muet, tu auras envie de vomir devant le public " explique Briseida. La Reine des Congo, elle, a déclaré publiquement dès son arrivée qu'elle préfèrerait mourir que de révéler à quelqu'un d'autre qu'au Prince et à la Princesse certains secrets ancestraux. De leur côté, les Garifunas ont demandé la permission au Bouyé de leur village avant de jouer des scènes de la pièce, et celui-ci leur a donné des consignes. " Si nous chantons des chansons sacrés, nous pouvons tomber, et personne ne pourra nous guérir. Les esprits et le démon viendront, pas seulement sur nous, mais sur tous ceux qui sont dans le théâtre " affirme Neta.
Anne Sylvie Mayza-Badré, la directrice artistique française, explique qu'" il a fallu leur faire comprendre que le but du théâtre n'est pas de présenter le rituel tel qu'il se fait dans les cérémonies sacrées, mais que le théâtre peut tout simplement s'inspirer de gestes, de danses et de musique rituels. En aucun cas il ne s'agit d'un véritable rite pour un public, mais d'une fiction qui est élaborée. On n'a pas a faire découvrir les secrets de chacun. "

Au niveau artistique, les communautés participant au projet sont complémentaires. Les français amènent leur savoir-faire, ce sont eux qui organisent les rencontres et font la mise en scène des spectacles. Les Mayas, très introvertis, intellectualisent chaque scène, respectent la parole de chacun et ne se plaignent jamais des conditions difficiles après de longues heures de répétition sous une chaleur écrasante. Les Garifunas, par contre, n'ont pas peur d'utiliser leurs voix et leurs corps, leur art étant basé sur l'improvisation et la spontanéité. Mais tout comme les Congos, ils sont assez indisciplinés et ont un gros problème de concentration. Les Congos ont pourtant l'habitude du public, puisqu'ils présentent chaque année leurs danses pendant le Carnaval. Mais la famille royale vit désormais dans les ghettos de la capitale, et leur culture très hiérarchisée est remise en question par les jeunes qui s'évertuent à désobéir. Lors des répétitions, les Kunas étaient là pour montrer l'exemple de calme et de discipline avec leur grande organisation et leur art très structuré. Avec leur caractère fier d'anciens guerriers, le Kunas ne montrent pas facilement leur faiblesse, y compris pendant le spectacle final, où les plus jeunes filles intimidées affichaient des sourires resplendissants.

La directrice artistique française a choisi de travailler sur le thème du rêve pour la représentation théâtrale qui a eu lieu le 26 Février à Bastimento. " C'est un thème qui peut rassembler les quatre communautés, leur mythologie, le monde visible et le monde invisible, les ancêtres. Dans le monde entier le rêve a une grande importance, mais dans le monde occidental, on l'a quand même un peu laissé de côté. Pour les Mayas, Kunas, Garifunas et Congos, le rêve a toujours son importance. Ce n'est pas " qu'un rêve ", puisque cela a une portée sur la réalité. " Anne Sylvie avoue qu'en tant que metteur en scène, le rêve lui a permis de passer d'une scène à l'autre, de justifier du temps et de l'espace : " tout est possible dans le rêve. On peut passer sans aucun problème d'une culture à l'autre. "
Les acteurs ont choisi eux-mêmes le titre de la pièce de théâtre, " El Sueño de las raíces profundas " (le rêve des racines profondes). Sogui joue le rôle principal. " Je représente une jeune fille moderne qui ne s'identifie à aucune culture, une fille normale qui vit à la capitale et qui ne connaît pas du tout les cultures autour d'elle. Je me submerge dans le monde du rêve, un monde fou d'aventures où j'apprends à connaître les cultures d'Amérique Centrale. Beaucoup de gens en ce moment ne savent rien du tout du groupe Kuna, y compris ceux qui vivent ici au Panama ". On peut dire la même chose des cultures Garifuna, Congo et Mayas Sutuhil.

Le spectacle final a eu lieu en haut de la colline qui surplombe le village de Bastimento, dans un amphithéâtre naturel créé pour l'occasion au milieu de la splendide végétation tropicale de l'île. Tous les enfants du village étaient présents le jour du grand spectacle. On pouvait compter une 100aine d'étrangers, ravis de cette opportunité exceptionnelle, assis sur les gradins de bois improvisés. " Avoir l'opportunité de vivre cette pièce de théâtre était un moment fascinant et colorée. Découvrir ces 4 communautés unifiées pour cet événement culturel était une expérience magique. Ce métissage fut un bijou de couleurs et de sourires. La fusion des chansons et des danses était juste le meilleur chemin pour extérioriser leurs différences et richesses culturelles. J'espère vraiment qu'ils seront capables de jouer en Europe et autres pays latino et ainsi montrer leur ouverture ", a expliqué un photographe belge chanceux présent ce jour-la.

Une équipe de tournage était présente pendant tout le mois de Février pour suivre le déroulement de la rencontre. " Le théâtre est un art éphémère, et une fois la performance terminée tout est fini" avoue Romain Pompidou. "Le but de l'activité était qu'il y ait un témoignage filmé de qualité pour pouvoir montrer le spectacle et tout ce qu'il y a autour. " La journaliste et le réalisateur faisant partie de l'équipe de tournage ont donc filmé l'évènement, les moments de détente, de concentration et de tension, donnant la parole à chaque groupe participant au projet pour leur donner la possibilité de diffuser leur culture. L'équipe n'aura aucun mal à trouver une maison de production considérant l'ampleur de la fusion interculturelle.

Le projet Cœur de la Terre ne s'arrête pas là. L'année prochaine, une tournée est prévue dans les capitales d'Amérique Centrale, après la création d'une autre pièce où s'intègreront cette fois des acteurs français. En 2006, les meilleurs acteurs de la troupe voyageront en Europe pour une tournée en France et en Espagne. Le projet Cœur de la Terre n'a pas fini de faire parler de lui.

A la fin de la représentation théâtrale, l'actrice principale se réveille dans le même monde de bruit et de mouvement où elle s'était endormie, mais elle porte en elle un " petit quelque chose en plus " qu'elle partage avec les autres citadins. La boucle est bouclée. Les acteurs, danseurs, musiciens, organisateurs et observateurs Français, Kunas, Congos, Garifunas et Mayas, tout comme chacun des spectateurs présents le 26 Février, sont repartis eux aussi de la petite île paradisiaque avec un petit quelque chose en plus.

 

 

 

 

 

 

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