Nicaragua : l'Esprit de l'île du Maïs

Juillet 2003

Gaëlle Sevenier

En Amérique Centrale il existe encore des paradis perdus : la petite île du Maïs, située dans les mers caraïbes à environ 80 kilomètres au large du port de Bluefields au Nicaragua, en est la preuve. Ses plages désertes de sable blanc et son eau turquoise, encore épargnées par les croisières touristiques, offrent un environnent idéal aux voyageurs aventureux.

Les deux îles du Maïs, Big Corn et Little Corn, servirent longtemps de refuge aux pirates anglais, hollandais et français qui fuyaient la flotte espagnole et y cachaient leurs trésors. Les deux petites îles restent sous la domination britannique jusqu'en 1894, date où le gouvernement du Nicaragua y déclare sa souveraineté. On y retrouve aujourd'hui une architecture qui rappelle fortement l'influence anglaise et la majorité des habitants sont bilingues anglais-espagnol.

Little Corn est la plus sauvage des deux îles du Maïs. On peut y faire le tour à pied en une demi journée, en faisant des petites haltes sur les plages désertes de sable blanc. La population de l'île est à dominante noire, avec une majorité de créoles et de Garifunas, descendants d'esclaves africains métissés d'indiens de l'île de Saint Vincent, avec quelques espagnols et indiens indigènes appelés Miskitos. Les habitants ont très peu souffert de la guerre civile qui a sévi au Nicaragua de 1978 à la signature des accords de paix en 1987.

Depuis des décennies, Little Corn vit de la vente de noix de coco et de langoustes. Il y a quelques années, un pêcheur de langoustes pouvait gagner jusqu'à $1000 par jour. Aujourd'hui, en raison de la surexploitation, il ne gagne souvent même pas de quoi amortir le prix du carburant pour son bateau. Les locaux ont donc mis en place un système de " veda ", période de deux mois, en Juin et Juillet, pendant lesquels la pêche à la langouste est interdite, afin d'en assurer la reproduction et la croissance.

Face à la crise de la langouste, le tourisme est une alternative pour les îliens. Mais il reste une affaire de routards aventureux. Le voyage de 3 à 6 jours en bus et bateau depuis le Nicaragua jusqu'à Little Corn peut devenir un véritable cauchemar si les conditions ne sont pas optimum. Il est d'ailleurs recommandé de prendre un petit avion depuis la capitale. Sur l'île il y aurait la possibilité de loger plus 200 touristes, mais seule une poignée de voyageurs en quête d'endroits sauvages, le plus souvent des jeunes avec leur sac à dos, ose s'y aventurer. Les locaux apprécient beaucoup ces " backpackers " peu difficiles.

Le maire de l'île, Winston Down, soutient que le tourisme doit bénéficier avant tout à la population locale : " seulement deux ou trois étrangers ont des petits hôtels sur l'île. Nous ne voulons pas que l'on construise des hôtels 5 étoiles, les choses changeraient trop rapidement. Si c'était le cas, le tourisme ne serait plus une solution mais deviendrait un véritable problème. "

Sur Little Corn, l'écosystème est fragile et doit être préservé. D'après George Agil, un espagnol vivant sur l'île, " cet endroit est précieux : paix, tranquillité, nature. Toutes ces choses ont un prix : l'accès n'est pas donné à tout le monde. Il doit y avoir un accès difficile jusqu'à l'île pour ceux qui apprécient vraiment cette tranquillité. " L'eau des puits ne serait en effet pas suffisante pour un tourisme de masse.

Dans l'île voisine, Big Corn, le tourisme s'est beaucoup plus développé. Plus de 80 taxis sillonnent le bitume de l'unique route. La petite ville est surpeuplée et la municipalité semble désorganisée et peu préparée à l'accueil des voyageurs. Ne voulant pas suivre l'exemple de leurs voisins, la population de Little Corn a voté contre la construction d'une route. Pas de voiture, pas de pollution, pas de bruit. Un bureau de police vient récemment d'être construit. " Avant, une jeune femme pouvait se baigner nue sur les plages, mais aujourd'hui c'est un peu dangereux, il vaut mieux qu'elle soit accompagnée " raconte Syndney Daniel Wang, un natif de Little Corn. " Le tourisme attire la corruption parce qu'il y a de l'argent. Avant nous n'avions pas besoin de la police. Mais nous détestons lorsqu'un touriste se fait voler, c'est mauvais pour notre réputation. "

Tous les 27 Août, les habitants des deux îles du Maïs se réunissent pour célébrer le jour de l'indépendance des esclaves. La fête dure quatre jours et quatre nuits. La bière et la soupe au crabe coulent à flots pour célébrer la libération des esclaves noirs. Spectacles, chansons et danses présentent l'arrivée des pirates, l'esclavage, la culture des deux îles. Une reine de beauté est élue. Chaque village a une table attitrée où le repas est gratuit. Les étrangers n'ont qu'à choisir une place où s'asseoir car ils sont les bienvenus.

Il existe de nombreuses légendes sur Corn Island. Les plus populaires concernent les trésors enchantés cachés par les pirates. Juan, un vieux créole rencontré dans une plantation d'ananas, nous parle du trésor enchanté : " Il y a des esprits sur l'île. Si tu t'endors près de quelqu'un, ils ne te dérangeront pas. Par contre, si tu dors seul, là oui ! Cette île, voyez- vous, était pleine de pirates. Ils enterraient leur or ici. Tout cet argent, tu ne peux le trouver que s'il t'est donné. Laissez-moi vous dire un secret : les pirates étaient stupides… Ils se battaient entre eux. Ils s'entretuaient. Celui qui remportait gagnait le trésor. Ma grand mère me disait souvent que lorsqu'ils partaient cacher le trésor, ils pouvaient t'emmener avec eux, pour creuser… " tu sais pas ce qu'ils vont te faire " disait-elle "mais ça, c'est sûr, ils vont te tuer ! " Vous pensez que peut-être ils vont vous laisser vivant mais dès que vous avez le dos tourné, hop, ils te coupent la tête avec leur sabre ! C'est pour ça que le trésor est enchanté, parce que l'esprit du corps assassiné reste à côté du trésor. Aujourd'hui, seul quelqu'un qui ne connaît pas la peur peut y être guidé. Dès fois, l'esprit du mort vient te voir dans ton rêve et te dit où tu peux le trouver, et avec qui tu dois le chercher : " n'aie pas peur " te dit l'esprit, " tu verras un gros serpent, il ne te fera aucun mal, c'est là que se trouve l'or." Cela arrive vraiment, c'est vrai !! "

 

Voyageurs aventuriers, préparez vos pelles pour creuser !! En attendant, apprenez plutôt à cuisiner au feu de bois. En effet, il n'y a pas beaucoup d'endroits où se restaurer sur l'île de Little Corn. Par exemple, chez Derick, petit paradis perdu près de la plage, avec ses bungalows à $5 que l'on atteint en traversant la forêt par des sentiers boueux, chacun doit cuisiner sur le feu de camp, dormir sur un matelas de feuilles de bananier, se laver au puit, en d'autres termes : vivre à la Robinson Crusoé.

Les habitants de l'île, d'une extrême gentillesse, vous offrent mangues, noix de coco ou ananas, vous invitent à pêcher ou à dîner chez eux, ou bien vous racontent des histoires de fantômes dans un anglais créole parfois un peu difficile à comprendre. " J'adore lorsque des voyageurs viennent sur l'île - dit Syndney Daniel Wang - c'est comme si une vague d'amour arrivait sur nous, nous devons l'accepter. De l'amour, oui. Avant, les noirs n'étaient pas traités de la même façon que les blancs. Aujourd'hui, nous sommes tous amis, il n'y a plus de racisme, nous aimons tous cette petite île. "

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