Guatemala : Les laissés pour compte des Accords de Paix

Par Gaëlle Sévenier
Octobre 2002

Depuis plus d'un an, cinq cents familles de paysans Guatémaltèques vivent dans la misère la plus totale sur les bords de l'autoroute de Champerico. Malgré la volonté délibérée des officiels d'ignorer leur existence, les victimes de la guerre civile espèrent que leurs droits finiront par être reconnus, et que le gouvernement leur donnera la terre, la nourriture et l'éducation promises lors des Accords de Paix de 1996.

Tentes en plastique déchirées, boue, inondation, eau contaminée, danger continu à cause des voitures et des camions qui défilent à vive allure… Il s'agit là du quotidien des cinq cents familles indigènes guatémaltèques qui vivent entre les kilomètres 206 et 207 de l'autoroute reliant Retalhuleu à Champerico, sur la côte pacifique du Guatemala. Au début, ils étaient plus de 1600 familles, mais après une année de rationnement, de frustration et de souffrances, beaucoup n'ont pu tenir le coup.

Les fermiers et leurs familles viennent de plusieurs régions du pays : San Marcos, Huehuetenango, Quetzaltenango, Suchitepéquez, Totonicapán, Sololá, Jutiapa, Jalapa et Retalhuleu. La plupart étaient réfugiés au Mexique pendant la guerre civile qui a commencé en 1944. Lors de la signature des accords de paix en 1996, le Gouvernement et le " Fondo de Tierra " ont promis que leurs terres leur seraient rendues s'ils revenaient au Guatemala, et que leurs enfants recevraient nourriture et éducation. Les fermiers ont cru à ces belles paroles et ont réintégré leur pays natal mais aucune des promesses officielles n'a été tenue. En plus de cela, ils ont été renvoyés l'an dernier des fermes où ils avaient fini par trouver du travail, cette fois à cause de la crise internationale du café.

Depuis le mois d'octobre 2001, les fermiers n'ont d'autre solution que de squatter le bord de la route. Ils ont conscience que c'est le seul moyen de pression dont ils disposent pour forcer le gouvernement à leur manifester un peu d'intérêt. Les campesinos, qui n'ont plus que leur détermination, se sont organisés en créant l'association " Mayas Sin Tierra " (Mayas Sans Terre). " Nous étions endormis, mais la douleur et la situation économique nous ont poussés à nous réveiller ", explique Gilmar Vallejos Velasquez, secrétaire général du groupe, autrement connu sous le nom d'Elias Mendez. " Nous avions les mains liées, comme des esclaves, mais je crois qu'aujourd'hui est venu le moment de nous réveiller. Nous n'admettrons plus d'être les esclaves de ceux qui nous volent : nos droits, notre terre, nos emplois. C'est de cette façon qu'ils sont devenus millionnaires puisqu'ils nous ont toujours donné le minimum. "

En tant que fermiers guatémaltèques depuis des générations, ils ne se considèrent pas comme des " envahisseurs ", comme ils ont souvent été désignés, et ils ne comprennent pas pourquoi le gouvernement donne la priorité aux " espagnols ". D'après le secrétaire général, leur objectif n'est pas seulement de trouver une terre à cultiver, mais également de permettre à toute la communauté Maya d'accéder à de meilleures conditions de vie.

Le gouvernement prétend qu'il ne dispose d'aucun fond à consacrer aux terres promises lors des Accords de Paix. Par contre il est question qu'il accorde des indemnisations aux " patrouilles civiles d'auto défense " (PAC), une population locale utilisée pendant la guerre par les militaires et connue pour avoir participé à d'innombrables massacres : " notre pays affirme ne pas avoir l'argent, mais avec les Ex-PACs, nous nous rendons bien compte que ce qu'ils sont en train de faire n'est pas juste […] Comment est-ce possible que des gens qui ont aidé le gouvernement lors des massacres reçoivent chacun 20 000 Quetzales de récompense? (environ 20 000 Francs) "

Francisco Perrez Ramires, un autre représentant de la communauté, ajoute : " Pendant la guerre, avec l'aide des patrouilles civiles, les militaires ont massacré un grand nombre de nos compagnons, de nos compatriotes. Il n'y a pas de raison de leur donner une indemnisation, au contraire ils devraient être punis puisqu'ils ont une dette envers la société. C'est injuste … "

Injustice… Ce mot résume toute leur vie. L'un des hommes de la communauté, Janaro Arrollo, nous donne un témoignage poignant de leur situation : " Nous avons eu tant de besoins et personne ne nous a tendu la main… Comme vous pouvez le voir, les tentes en plastique se déchirent, le vent les emporte au loin, nous sommes trempés… Tout cela est tellement douloureux pour nous. Et les riches vivent bien, mangent bien. Nous les voyons qui conduisent sur la route… Et ils ont plein d'argent et de terrain qu'ils n'utilisent pas… "

Les enfants n'ont reçu aucune éducation cette année car il n'y a pas d'école aux alentours. Pour survivre, les Mayas Sans Terre vont chercher du travail à tour de rôle, parfois très loin de la côte. Des hommes partent quelques jours afin de gagner 15 à 27 Quetzales par journée de travail (ce qui est totalement insuffisant pour subvenir aux besoins élémentaires de leur famille) puis ils reviennent au camp afin que d'autres partent. Les rares dons de médicaments sont insuffisants pour soigner les enfants malades à cause du froid, de l'humidité, des pluies incessantes et de l'eau contaminée des puits qu'ils ont dû creuser, puisqu'on leur a interdit l'accès à la rivière la plus proche. En mars 2002, il y a eu un tragique accident : une petite fille de quatre ans, Marina Marisela Ortiz Pérez, est tombée dans l'un de ces puits de fortune. Sa famille n'a pas réussi à la sauver.

Depuis des mois, les Mayas Sans Terre attendent que quelque part dans le monde quelqu'un leur manifeste un peu d'intérêt et les traite en tant qu'êtres humains. La communauté affirme que plusieurs journaux guatémaltèques ont délibérément menti sur leur situation au lieu de leur offrir une couverture médiatique honnête. Le 18 mars 2002, El Periodico, journal de Guatemala City, titrait ainsi un article sur le groupe Maya : "Fausse identité, contrebande et argent sale". L'article mentionne que les Mayas auraient reçu 500 à 1000 Quetzales pour occuper les bords de l'autoroute, qu'ils seraient impliqués dans le narco-trafic, qu'ils détiendraient des armes et que Elias Mendez aurait menti sur son identité. La communauté toute entière dément ces accusations. Le secrétaire général se justifie en expliquant que s'il a utilisé au début le pseudonyme d'Elias Mendez, c'est pour protéger sa propre vie ainsi que celle de sa famille.

D'après l'article 35 de la Constitution Républicaine du Guatemala, " Quiconque se sent offensé a le droit de publier sa défense, ses éclaircissements et rectifications ". L'organisation " Mayas Sin Tierra " a envoyé son droit de réponse au journal El Periodico, qui est légalement obligé de le publier. Huit mois se sont écoulés et la communauté attend toujours que sa version soit publiée par le journal national.

Depuis que les journaux ont découvert et révélé sa véritable identité, Gilmar Vallejos Velasquez a reçu des menaces de mort. Il pense que les auteurs en sont les gros propriétaires terriens de la côte. Des véhicules aux vitres noires, parfois sans plaque d'immatriculation, tournent en rond près des tentes, de jour comme de nuit. " S'ils me tuent, je crois que cela n'arrangera rien, en dehors du fait que cela donnera plus de force à mes compagnons pour continuer la lutte ", affirme le leader du groupe. " Ils mentent à notre propos, et si demain ils nous tuent, ils diront que c'est à cause du trafic de drogue. " Avec les élections présidentielles prévues en 2003, l'association Maya se doit de prendre ses précautions et ne pas révéler ses intentions de vote. " Un compagnon peut disparaître et les gens diront qu'il a été tué pour des raisons politiques. Les choses ne devraient pas être ainsi… "

Un des seuls espoirs qui reste au groupe Maya est la mobilisation de la communauté internationale : " Nous demandons que la communauté internationale fasse prendre conscience à notre Président que, nous aussi, nous sommes guatémaltèques" affirme le secrétaire général. " Si nous devons rester ici un ou deux ans de plus, nous le ferons, jusqu'à ce que notre objectif soit atteint. Nous continuerons à lutter. Ce que nous nous disons souvent, c'est qu'il vaut mieux mourir en luttant que mourir de faim ".


Gilmar Vallejos Velasquez (Elias Mendez) et les Mayas Sans Terre, vivant sur les bords de l'autouroute depuis October 2001

 

Terres promises lors des Accords de Paix : une " mauvaise Interprétation "


Dans les Accords de Paix, l'" Accord sur la réintégration des groupes de populations déracinées lors du conflit armé," établit que le gouvernement guatémaltèque a l'obligation de rendre leurs terres aux populations qui ont dû les abandonner suite à la guerre civile : " Dans ce contexte, il [le gouvernement] encouragera le retour à la terre des paysans d'origine et/ou cherchera des solutions compensatrices adéquates. "

Afin d'exécuter les Accords de Paix, le Gouvernement a créé, le 14 Mai 1997, le " Fond de Terres" (Fondo de Tierras). Cette organisation a pour but d'octroyer des prêts aux fermiers qui ne possèdent aucune terre ou qui n'en ont pas suffisamment. Le prêt, qui s'étend sur trois ans, inclut un taux d'intérêt qui peut être aussi élevé que celui des banques du pays.

D'après José Vicenti Ajpop, Coordinateur Régional de "Fundo de Tierras " de Quetzaltenango, " les accords de paix ont été mal interprétés. Il n'a jamais été question que le gouvernement leur donne des terres gratuitement."

En conclusion, au lieu de réinstaller les groupes déracinés victimes de la guerre civile, le " Fond de Terres" fonctionne moyennant profits, comme une banque, et contribue à endetter ceux qui ont déjà tout perdu.



Puits remplis d'eau contaminé que les mayas ont du creuser, l'accès à la rivière la plus proche leur ayant été interdit.
Les atrocités commises par les Patrouilles Civiles (PACs)

Alfonso Portillo, actuel Président de la République du Guatémala, a promis d'indemniser les anciennes Patrouilles de Défense Civile, formées par l'armée Guatémaltèque en 1981. La fonction principale des PACs était d'impliquer les communautés dans l'offensive anti-guérilla de l'armée.


" D'après les témoignages rassemblés par REMHI, les patrouilles civiles sont responsables de 12,8 % des violations des Droits de l'homme, alors que les commissaires militaires en sont responsables à 7,4 %. Si on fait le total, une violation sur cinq peut être attribuée à ces forces irrégulières du gouvernement. Les patrouilles civiles ont participé aux meurtres (3,4 % des violations), tortures et autres traitements cruels (2 %), disparitions forcées (1,8 %), détentions irrégulières (1,8 %), et menaces (1,2 %). Une fois sur cinq, les patrouilles Civiles, associées aux militaires, sont impliquées dans les cas de morts par persécution des personnes qui ont cherché à se réfugier dans les régions inhabitées (1,3 % du nombre total de violations répertoriées).

Les patrouilles civiles sont identifiées comme étant les auteurs d'environ un massacre sur cinq (18,1 %), alors que les commissaires militaires sont responsables d'un sur vingt (5,4 %). Au total, ces forces irrégulières du gouvernement sont impliquées dans un meurtre collectif sur quatre."

Guatemala Nunca Más
(Guatemala Plus Jamais)

Le Rapport Officiel du Bureau des Droits de l'Homme, Archidiocèse du Guatemala

 

Comment contacter l'organisation Maya Sin Tierra:


Representante Gilmar Vallejos Velasquez, CHAMPERICO Km 206-207 Departamento Retalhuleu
Guatemala


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