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Les Indiens Wounaans du Darien, Panama
Par Gaëlle Sévenier, journaliste

Reportages Août 2004

Un petit village indien du Panama perdu au fin fond du Darien le long d'un fleuve couleur de boue ; des indiens wounaans, hommes et femmes aux torses nus couverts de peinture noire; des enfants sales qui courent partout autour des maisons rondes sur pilotis aux toits de palmes. Cette parenthèse au monde industrialisé se trouve à quelques heures de route et de pirogue de Panama City, ville de gratte-ciel et de grands centres commerciaux où le dollar est roi.

Les wounaans sont une tribu du Panama et de Colombie apparentée aux indiens caribes que l'on retrouve jusqu'en Amazonie. D'après le porte parole Wouaan, ils seraient 4500 au Panama et 2500 en Colombie. Lors de la conquête espagnole, ces tribus guerrières n'ont pu être dominées. Leurs petites flèches de sarbacanes, invisibles et imbibées de poison neurotoxique, tuaient à petit feu en paralysant les muscles jusqu'à atteindre celui du cœur. Les espagnols mourraient d'atroces souffrances sans jamais avoir entraperçu leurs agresseurs.

Les wounaans du Panama ne se sont regroupés en communautés que dans les années 70. Avant cette date ils vivaient en famille, dispersés le long du fleuve Savana dans la région du Darien. L'ancien président et général Omar Torrijo, père du Président actuel au Panama, accorde à chaque village une école et un centre de santé, à condition qu'ils se regroupent en communautés de plus de 100 personnes. Puerto Lara est ainsi créé, autour d'un ancien point stratégique de l'armée américaine.

C'est lorsque Pearl Harbor éclate, le 7 décembre 1941, que les américains s'inquiètent pour le canal de Panama. Ils débarquent dans la jungle, bulldozers, hélicoptères et gros moyens, au fin fond des régions les plus isolées du pays. Ils construisent près du fleuve une piste d'aviation, et plus haut sur la colline une station radio qui servira plus tard à la CIA comme relais afin de contrôler des dictateurs Sud Américains. En 1968, le Général Torrijo, prend le pouvoir. Ne pouvant évincer les américains du canal en raison du traité signé, il n'accepte pas leur présence dans le Darien et leur donne un mois pour partir. Dans sa précipitation, l'armée américaine laisse derrière elle de nombreux vestiges que l'on retrouve encore aujourd'hui dans la montagne.

Les Wounaans demandent l'autorisation de Torrijo pour s'installer autour de la piste d'aviation. Celle-ci, compacte et droite, sert aujourd'hui de rue principale à Puerto Lara, préservant ainsi les wounaans des dégâts causés par les nombreux orages. Le vieux Clamedes Valencia, cacique régional des wounaans, se souvient du jour où le Président leur a dit de se regrouper en villages " Nous avons abandonné nos maisons pour venir ici. Le Général nous a donné la liberté en nous donnant accès à l'éducation. Aujourd'hui, certains de nos enfants vont même au collège. " La route menant au village depuis la petite ville de Santa Fé où se trouve le collège le plus proche n'est malheureusement utilisable que quelques mois par an. Le reste de l'année, c'est en pirogue que les wounaans doivent se déplacer.

Aujourd'hui, 448 habitants vivent à Puerto Lara. Ils ont depuis peu l'électricité et une cabine téléphonique et vivent entre traditionalisme et modernisme. Leurs maisons, sur pilotis pour se protéger des crues du fleuve, n'ont ni mur, ni meubles. Les familles y dorment à même le sol, on peut voir ce qui se passe chez l'autre, mais l'intimité des foyers est respectée par tradition.

Les femmes s'habillent d'une petite jupe colorée, la parumas. Même si beaucoup vivent encore les seins nus, peints avec une teinture végétale à base de Jagua, colorant extrait du fruit de la genipa americana, beaucoup revêtent un T-shirt. La pression de l'église évangéliste qui s'est implantée ici est importante, et les regards dérangeants des quelques latinos qui viennent au village ont fini par changer pour beaucoup leur culture vestimentaire. " Notre culture se perd " raconte le grand-père Clamere Valencia. " D'une certaine façon, les quelques touristes qui viennent nous voir depuis peu nous aident à la préserver. La population se rend compte de l'importance de nos traditions, et nous apprenons à en être fiers. "

Lauriano Chamaro est le chaman du village. Tous les matins, il boit à jeun un thé de feuilles de Borachera qui, à terme, lui donne les hallucinations nécessaires pour déceler la provenance des maladies. Botaniste de formation, il s'est spécialisé dans le traitement des maléfices et de la sorcellerie. Les indiens viennent le voir de très loin, parfois même de Colombie pour se faire soigner. C'est Lauriano qui connaît dans la jungle l'emplacement des plantes médicinales qui selon lui guérissent le cancer. Il les utilise pour préparer ses potions, accompagnées parfois d'os de crapaud et de couleuvre pillés. Ce petit homme d'une grande simplicité ne fait pas payer ses services lorsqu'il s'agit de sorcellerie. Il est juste heureux, dit-il, d'avoir pu ainsi sauver 1200 personnes d'une mort certaine.

Michel Puech est un guide français qui s'est pris de passion pour les indiens du Panama. C'est l'un des premiers blancs que les wounaans ont rencontrés. Lors d'un congrès Wounaan en 1996, congrès organisé chaque année afin d'élire leur leader et permettant ainsi aux jeunes de se rencontrer et de former leurs familles, Hernestina, une wounaan au sourire resplendissant, s'est approché de Michel et de sa femme. " Nous faisons beaucoup d'artisanat " leur a-t-elle dit " nous aimerions que des étrangers viennent au village pour nous les acheter." Depuis ce jour, a commencé une longue histoire d'amitié entre ce guide et cette tribu qu'il protège.

Michel Puech crée une agence, Exotics Adventures. Tous les mois, il emmène à Puerto Lara ou dans quelques autres villages du Panama, des petits groupes de 6 personnes au plus, afin de ne pas perturber le développement du village. Les fonds rapportés par les visiteurs ont déjà permis à de nombreux enfants d'être scolarisés au collège de Santa Fé. Les voyageurs, ravis, participent pendant quelques jours à la vie du village, vont à la pêche aux crabes dans la boue avec les femmes, parcourent la jungle avec Willio et sa machette, et partagent avec les habitants des petits repas au feu de bois. Le vieux Juan Quiroz raconte au crépuscule la création du monde en Colombie, avec Jésus qui façonna dans un tronc l'homme blanc, l'homme noir, et puis l'indien Wounaan, l'indien Kuna, le Teribe et le Embera, trois autres tribus du Panama.

Cet environnement plein de sourires et de traditions n'est pourtant pas dépourvu d'ombre. Les Wounaans sont en danger. Ils sont en danger parce qu'on brûle leur terre. Ces trois dernières années, 8 enfants sont morts à cause de l'eau empoisonnée des champs défrichés. Le Chaman a perdu les récoltes de nombreuses plantes médicinales. " En tout, 300 hectares sur les 700 qui appartiennent aux communautés indiennes ont été brûlés " raconte-t-il. " Cette communauté est totalement abandonnée par le gouvernement. "

Les colons, métisses d'indiens, espagnols et anciens esclaves noirs, sont les paysans responsables du malheur des Wounaans. Leur seul moyen de subsistance est d'appauvrir la terre en brûlant et en réutilisant la cendre comme engrais. Cette manière ancestrale d'exploitation basée sur le défrichage donne de bons rendements pendant deux ou trois années. Ensuite, il faut partir, avancer dans la forêt puisque la terre devient morte, stérile et sèche. Ils ne connaissent aucune autre méthode d'agriculture plus durable, et ne font qu'appauvrir la région du Darien. Ils font donc pression sur les indiens pour rentrer sur leur territoire et brûlent leur terre, souvent pendant la nuit.

" Ils ont tellement brûlé l'an dernier " raconte Michel Puech qui a assisté, impuissant, au massacre, " qu'ils ont pratiquement détruit le Darien. Les forêts brûlaient 30 jours après l'arrivée des pluies, en tout 4 mois. " D'après un rapport officiel, plus de 3 305,69 kilomètres carrés de forêt on disparu au Panama entre 1992 et 2000, et 27% du pays sont en état avancé de dégradation.

Les Wounaans avaient obtenu une aide américaine pour planter des graines de tagua, également appelée ivoire des montagnes, base de leur artisanat traditionnel. Un matin, les indiens ont découvert leurs champs réduits en fumée. Aujourd'hui ils sont obligés d'acheter les graines à 1$ pièce afin de pouvoir les sculpter. Les colons, qui représentent une force électorale plus importante que les Wounaans, n'ont pas été arrêtés par le gouvernement et ont planté leur maïs à la place. Les indiens, impuissants malgré de nombreux recours en justice, preuve à l'appui que cette terre leur appartient, n'ont rien pu faire. " Les colons ne respectent pas la nature. Ils prétendent que nous n'utilisons pas nos ressources. Ce n'est pas vrai, nous travaillons notre terre, mais sans couper nos arbres, sans la détruire " dénonce Juan de Jésus, responsable régional de la zone Wounaan.

Des indiens des montagnes de Rio Hondos, victimes du même problème d'invasion de leur terre, se sont révoltés. C'est à coups de machettes et de tronçonneuses que les colons et les indiens se sont affrontés, le 17 Août dernier. Sept personnes sont encore hospitalisées. Le journal national La Prensa titrait alors : " Une guerre qui n'intéresse personne. "

Les indiens de Puerto Lara, comme beaucoup d'autres dans les nombreuses tribus qui peuplent le Panama, attendent beaucoup du Président du Parti Révolutionnaire Démocrate Martin Torrijo, élu en mai dernier, qui selon eux suivra les traces de son père et protègera les indiens de la forêt. " Il nous aidera, c'est sûr " prédit le chaman, " parce que son père était un homme bon, grâce à lui nous savons lire aujourd'hui. Il avait foi en nous, lui. " ©

Photo Gaëlle Sévenier

Gaelle Sevenier

For more information on the Wounaan of the Darien, contact Michel Puech, Exotics Adventure

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GS

 

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Photos Michel Puech

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