Les visages cachés du Costa Rica

 

L'exclusion des tribus Indigènes au Costa Rica

 

Travail de recherche
Gaëlle Sévenier

 

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Costa Rica - pays riche en forêts tropicales, volcans et plages de sable fin… Derrière ce masque, " destination idéale de lune de miel ", se cache toute une communauté d'indigènes presque ignorée par le reste de la population. Les tribus indiennes du Costa Rica, soit plus de 63 800 individus, vivent pauvres et isolés, et souffrent de discrimination sur leurs terres ancestrales. Société en voie de disparition, les indiens des forêts tropicales ont encore beaucoup à nous apprendre.

Lorsque Christophe Colomb, au cours de son quatrième et dernier voyage, en 1502, a mis le pied sur ce que l'on appelle aujourd'hui les Iles d'Uvita, sur la côte caraïbe d'Amérique Centrale, plus de 250 000 personnes appartenant à huit différents groupes ethniques vivaient sur le territoire qui deviendra le Costa Rica, pays aujourd'hui le plus développé d'Amérique Centrale.

On distingue aujourd'hui trois foyers de peuplement indigène, aussi bien du côté Atlantique que Pacifique. Le gouvernement a mis en place 24 réserves, avec des communautés différentes les unes des autres, aussi bien par leur culture que par leur langue. Les indiens y vivent comme ils vivent depuis des siècles, en petits groupes dispersés, pratiquant la chasse et l'agriculture, se soignant avec des plantes médicinales, fabriquant des poteries et façonnant l'or et le jade. Ce sont des tribus indiennes qui descendent des Mayas et d'indigènes d'Amazonie. Recensés pour la première fois en l'an 2000, ils représentent 1,7% de la population du pays, soit un total de 63 876 personnes identifiées comme indigènes.

En raison de leur isolement dans la jungle costaricienne difficilement pénétrable, les indigènes sont aujourd'hui très peu métissés et ont gardé leur authenticité. Dans la région de Talamanca, qui signifie en langage Bribri " le lieu du sang," probablement à cause des massacres de tortues sur la côte Caraïbe, plusieurs tribus vivent encore éloignées de la civilisation, dans la jungle profonde.

Les tribus indigènes Bribris occupent généralement les territoires de basse altitude de la cordillère de Talamanca, du côté Caraïbe du pays, alors que les tribus Cabécars préfèrent vivre à l'écart, dans les montagnes de la cordillère. De nombreuses études considèrent les Bribris et Cabécars comme faisant partie d'une seule et même ethnie. Les Cabécars, isolés dans les montagnes, subissent moins l'influence du progrès que leurs alliés Bribris, et maintiennent un système complexe de clans.

Ces deux tribus ont la particularité d'être parmi les rares indigènes d'Amérique Centrale à avoir conservé intacts leurs mythes religieux, transmis de génération en génération à travers les contes des anciens. Les changements culturels et sociaux qui ont fait du Costa Rica le pays le plus riche de toute l'Amérique Centrale n'ont en rien influencé leur croyance en un Dieu suprême et créateur de l'univers, Sibö.

C'est dans la maison de Sibö que se trouve l'Univers. Son toit est parsemé de petits trous à travers lesquels passe la lumière du jour : ainsi se forment les constellations. Les maisons traditionnelles des indigènes de la région de Talamanca sont construites à l'image de celle de Sibö, ronde et haute. Le soir venu, le soleil tombe de la terre pour aller de l'autre côté du toit du créateur et fournir la lumière aux étoiles. Cette vision mystique, élaborée bien avant Copernic, est l'une des rares a évoquer un système de rotation planétaire.

La communauté des Diablitos de Boruca (petits diables de Boruca) vit quant à elle sur la côte pacifique sud. Ces indiens sont célèbres pour leur travail ancestral de l'or, dont on peut admirer des exemples au musée de l'or à San José, capitale du Costa Rica.

Aujourd'hui, les Borucas sont particulièrement connus pour leur " Jeu des Petits Diables ", pratiqué pendant la grande fête qu'ils organisent chaque année du 30 Décembre au 1er Janvier. Les hommes de la tribu façonnent pendant l'année des masques multicolores en bois, sur lesquels sont gravés et peints des visages d'indigènes avec une représentation symbolique de la nature en haut du crâne. Les femmes, elles, s'occupent des tissus et des ingrédients naturels qui seront utilisés pour la peinture. Lors du " Jeu des Petits Diables ", les hommes se couvrent de leurs masques, et durant trois jours et trois nuits miment une lutte effrénée contre le conquistador espagnol, symbolisé par une effigie de taureau. La fête se termine avec la crémation du taureau vaincu, et le partage des restes de la victime entre tous les habitants Borucas.

A côté de leur richesse culturelle et artistique, les indiens des forêts du Costa Rica vivent dans un grand dénuement. Leur pauvreté contraste fortement avec le niveau de vie moyen des 3,8 millions d'habitants du Costa Rica dont le gouvernement prône des valeurs de justice et d'égalité sociale. La plupart des maisons aux toits de chaume n'ont pas accès à l'électricité et à l'eau courante. Les indiens dorment dans des hamacs, et cuisinent au feu de bois le plat traditionnel de riz aux haricots rouges. La plupart marchent pieds nus et sont vêtus de t-shirts et pantalons provenant de dons. Les enfants comme les adultes ne peuvent bénéficier comme ils en auraient besoin des consultations médicales, à cause de leur isolement au fin fond des montagnes. Dans certains villages, il leur faut marcher pendant des heures et traverser les rivières en barque pour atteindre la première ville. Les maladies gastro-intestinales sont pourtant fréquentes. Beaucoup souffrent également du " papalomollo ", ou " lèpre des montagnes ", une infection due à des piqûres de moustiques qui font dans la peau des trous s'agrandissant jour après jour.

S'ajoute à leur pauvreté le fait qu'ils sont peu reconnus dans leur propre pays. " De nombreuses personnes nous imaginent arriérés, encore vêtus de plumes," explique George Gonzales, chef de la tribu Boruca. " Ils nous faut trouver un moyen de leur montrer que nous méritons du respect pour nos traditions. " Le plus souvent, ce sont des petits groupes d'étrangers qui viennent visiter leur communauté et partager leur culture, comme l'explique la mère de George, Felicia, alors que la plupart des nationaux ignorent jusqu'à leur existence.

En décembre 1977, le gouvernement du Costa Rica a voté une loi pour mettre en place les réserves indigènes du pays. Cette loi donne aux groupes indigènes le droit de s'auto- gouverner en tant que communautés, les titres de la terre restant néanmoins aux mains du gouvernement. La loi n'a pourtant jamais été mise en application. Même si les indigènes sont régis par leurs propres lois (il est par exemple interdit, dans la réserve Bribri, de boire tout autre alcool que la chicha locale, faite à base d'alcool de maïs), les années ont prouvé qu'ils n'ont jamais été maîtres de l'exploitation de leurs propres terres. Compagnies bananières, minières, pétrolières, forestières, n'ont cessé ces 50 dernières années de s'implanter sur leur territoire, avec l'accord du gouvernement.

" Cette terre nous appartient, c'est celle de nos ancêtres " accuse Timoteo Jackson Tita, un des anciens de la communauté Bribri. " Ils continuent à couper nos forêts. Que vont devenir nos enfants ? Les rivières sont en train de s'assécher à cause de la déforestation. Ils nous font du mal, et ils ne se rendent pas compte de l'impact sur les générations à venir. "

Le gouvernement costaricien est en train de mettre en place un projet de construction hydroélectrique qui inondera une partie des réserves indigènes. Est incluse dans le projet gouvernemental une re-localisation des tribus loin de leur terre natale. " Cela nous fait mal de savoir que nous allons encore perdre une partie de notre territoire, " déclare Félicia Gonzales, " là où se trouvent nos routes, nos sépultures, nos trésors, tout cela sera inondé ". Le problème ne semble pas être le projet hydroélectrique en lui- même, mais la non-application de la loi sur les territoires indigènes : " Ce projet rentre dans le même processus de domination que celui que nous connaissons depuis toujours " dénonce Oscar Fernandez, représentant de la communauté Cabécar. " Ils se moquent bien que cela noie des richesses culturelles et archéologiques. S'ils réalisent ce projet dans les réserves du sud du pays, cela fera jurisprudence, et ils feront la même chose dans les réserves Bribris et Cabécars. "

Les huit groupes ethniques ne disposent d'aucune représentation législative au Costa Rica. En 1973, le gouvernement costaricien crée CONAI, la " Commission Nationale des Problèmes Indigènes. " La majorité des indiens dénonce la mauvaise représentation de cet organisme étatique. " Les représentants ne sont même pas indigènes " explique Oscar Fernandez. " Ils ne viennent jamais sur nos terres pour voir la réalité, voir ce dont on a vraiment besoin. Ils n'ont jamais rien fait pour nous."

De nombreuses organisations se sont créées pour aider les indiens du Costa Rica, et d'après ces derniers, elles ne font que " se marcher les unes sur les autres ". La plupart des donations qui sont envoyées par d'autres pays aux indiens défavorisés n'arrivent pas à destination. Timoteo, porte-parole des anciens Bribris, accuse le gouvernement de les empêcher de percevoir ces donations, le coût des droits de douane étant trop élevé pour eux.

Les indiens du Costa Rica n'ont que peu de contacts entre tribus, ce qui renforce leur isolement dans la société costaricienne. Pour la première fois pourtant, en Septembre 2003, les représentants de trois groupes de tribus indigènes, Diablitos de Boruca, Bribris et Cabécars, se sont rencontrés dans une ferme de la réserve de Shiroles à Talamanca, lors du Festival d'Art National de Limon où ils étaient invités, pour la première fois également. Les trois communautés ont pu se présenter mutuellement leurs danses, chants et traditions. Ils ont également pu assister à des représentations artistiques du pays, les organisateurs du festival ayant fait venir jusqu'à eux des troupes de danse et de théâtre. Tout un groupe de Borucas a fait plus de 12 heures de bus pour rejoindre la Finca Educative de la réserve bribri où se déroulait l'évènement. " Participer au festival et à la rencontre interculturelle est un pas en avant " affirme le chef de tribu Boruca. " Il s'agit de divulguer nos traditions, mais cet événement n'est que ponctuel, il faut continuer à en organiser d'autres. "

A cette rencontre interculturelle s'ajoute une autre innovation pour la communauté indigène du Costa Rica. Récemment vient de s'ouvrir à Sepecuee le deuxième collège académique indigène du pays, avec pour la première fois un personnel entièrement local. A côté des enseignements classiques, des cours de langue Bribri et Cabécar, des cours d'éducation environnementale, d'artisanat et de musique indigène seront dispensés aux collégiens. " Si un enfant ne comprend pas les cours en espagnol, on pourra lui expliquer en Bribri ou en Cabecar," explique le sous-directeur de l'école. "Toute une génération d'indigènes a eu honte de parler sa langue, les professeurs des écoles les réprimaient, les gens se moquaient d'eux à cause de leurs origines. Aujourd'hui nous pouvons servir d'exemple de lutte indigène, avec de la pratique et non plus de la théorie. "

Malgré quelques avancées, les indiens du Costa Rica ont encore un long chemin à faire pour être reconnus et respectés sur leurs propres terres. Lors d'une représentation théâtrale de la troupe " Metamorfosis " du Festival National d'Art, le vieux Timoteo, vêtu d'un costume traditionnel, s'exclamait sur scène en Bribri, traduit par un jeune de la tribu : " il est temps pour nous, indigènes, de serrer les poings tous ensemble et de ne plus parler qu'une seule langue, celle qui dit: " ne maltraitez plus les indigènes. Ne maltraitez plus leurs forêts et leur terre. " "

 

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